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Cachez ces minorités, que je ne saurais voir

Dernière mise à jour : 23 avr. 2021


Odieux Boby - Evacuation d'exilés - République, Paris - Novembre 2020



Ce mois-ci, Le Chapiteau s’intéresse à la représentation des “minorités” dans les médias. L’importance de la nécessité de voir toutes les communautés dans le paysage médiatique ainsi que les questionnements que cela soulève. Je vous invite à clôturer notre thématique du mois avec un article plus approfondi, en lien avec notre podcast, sorti la semaine dernière.


En faisant des recherches pour écrire cet article, j’ai d’abord été frappée par l’ancienneté du débat. Je suis tout d’abord tombée sur une étude du CSA, datant de 2000 (il y a 21 ans, vous imaginez), qui traitait justement du manque de représentation des “minorités visibles” à la télévision. Ensuite, c’est un extrait d’un rapport sur la France issu de la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance, en 1999, qui a retenu mon attention.

Déjà, ces questions créaient débat et étaient un vrai sujet d'actualité. 20 ans plus tard, malgré des avancées légales concernant les droits de certains groupes minoritaires, ces questions sont au cœur des débats et les prises de position se font aussi naturellement que violemment. Malheureusement, force est de constater que la France n’est toujours pas le meilleur exemple en termes de représentativité et prise de parole de ces-dits dans les grands médias.

Alors oui, petit à petit, l’oiseau fait son nid vous me direz. Nous avons d’une part des rédactions et plateaux télévisés de plus en plus diversifiés, d’autre part, les réseaux sociaux, qui ont un grand rôle dans la démocratisation des prises de parole, la communication intra et inter communautaire… Pour autant, une grande partie de la population ne se sent pas concernée ou réfute des droits fondamentaux envers des “minorités”, alors qu’elle-même en profite.


Charlotte Abramow - Capture d'écran issue du clip "Les Passantes" de Georges Brassens - mars 2018


Les minorités sont-elles majoritaires ?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerai qu’on s’arrête sur le terme “minorité” en lui-même, histoire de comprendre de quoi nous parlons.


Aujourd’hui, en France, on qualifie de minorité tout groupe social singulier, que l’on distingue via son appartenance culturelle, religieuse, sexuelle… Étymologiquement, la minorité symbolise le statut de la personne n’ayant pas atteint la majorité mais aussi l’infériorité numérique. Et c’est en général en ce dernier sens que nous qualifions un groupe de personnes de “minorité”. Ce terme est cependant remis en question puisque une population minoritaire sur un territoire ou un pays peut être la culture dominante du pays voisin. Prenons l’exemple des Roms, qui sont plus de 12 millions en Europe. En France, ils seront considérés comme minoritaires, puisque cette population est énormément dispersée. Ou encore, les Kurdes, peuple de 11 millions de personnes, relié à aucun Etat et réparti notamment entre la Syrie, la Turquie, L’Irak et l’Iran. Ces derniers sont considérés comme une minorité alors qu’ils sont des millions. Ce ne serait donc que question de point de vue ? Pas si simple.


En réalité, aujourd’hui, nous considérons minoritaire, toute population ou groupe d'individus que l’on ne voit, n’entend et ne montre pas. Car il est inimaginable de dire aujourd’hui que les personnes LGBTQ+ ne sont qu’une minorité de la population.

Elles ne sont juste pas ou peu représentées, nous ne les voyons pas tous les soirs sur les chaînes d’informations, ou alors seulement pour les dépeindre comme une espèce vivante complètement déconnectée du schéma qu’a pu se faire X, homme blanc, hétérosexuel, de culture chrétienne et patron d’un groupe de médias français.

Oui, pour X, il s’agit d’une minorité car il n’est simplement pas intéressé par ce que ce groupe peut défendre. Il ne se sent pas concerné, il n’a donc pas envie de représenter, d’inclure et de normaliser la parole de ces personnes-là. Et Monsieur X n’est pas une exception. X est le paysage médiatique français. X fait la pluie et le beau temps et décide de quoi vous allez vous insurger très prochainement. X se fiche de savoir comment vivent les autres, car, lui, n’est pas souvent discriminé quant à son groupe d’appartenance, son origine ethnique, ni même son entrejambe, puisqu’issu du groupe dominant.

Malheureusement, le spectre médiatique est contrôlé par des X, et pas seulement en France.


Parallèlement, depuis une vingtaine d’années, nous assistons au développement des canaux et supports de communication (réseaux sociaux, internet, rédaction en ligne, blogs…), les minorités ont enfin une place où s’exprimer, où trouver et proposer des alternatives aux messages des rédactions dominantes. Il est donc aujourd’hui plus simple de revendiquer son identité.

Enfin, dans les grandes lignes. En vérité, ces multiples possibilités de revendication identitaire entraînent aussi la multiplication d’attaques et de débats parfois infondés, réfractaires, voire mensongers, allant à leur encontre.


C’est alors que le terme de “groupe minorisé” fait son apparition, et, je pense, prend tout son sens car plus juste que le simple terme “minorité”. Ce ne sont pas ces groupes qui sont minoritaires. Il s’agit, comme dit en d’autres termes plus tôt, “d’une politique visant à marginaliser des groupes, à cantonner leurs pratiques ou activités dans l’univers de la sphère privée, à récuser la mise en oeuvre de droits particuliers dans la sphère publique (éducation, administration, santé, média…).” (Jacques Guyot - Languages of Minorities and the Media : Research Issues) . Un groupe n’est pas une minorité. Un groupe EST minorisé par la culture dominante au travers de laquelle il tente d’évoluer.

Il est donc primordial de remettre les choses à leur place et de dire : non, les médias français ne sont pas représentatifs de la totalité de sa population, ou du moins des différents groupes minorisés qui constituent notre société.


Enfin, pour conclure sur cette histoire d’emploi du terme “minorité”, je vous parlais au début de cet article d’une étude du CSA qui m’avait frappée de par son ancienneté. Il était question d’en apprendre davantage sur la représentation des "minorités visibles” dans les médias. Ce terme canadien désigne en fait une variable démographique qui qualifie “les personnes, autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche” (Loi canadienne sur l’équité en matière d’emploi). Il y a plus de 20 ans, on s'intéressait alors surtout à la représentation des personnes racisées à la télévision, et non pas de tous les autres groupes minorisés qui, doucement, se font une place dans le paysage médiatique. Aujourd’hui, il serait impossible de ne représenter qu’un seul groupe minorisé sans inclure d’autres groupes d’individus. D’ailleurs à l’époque, cette étude avait provoqué quelques insurrections car trop restrictive puisque basée sur la simple couleur de peau.


Emma Birski - Série "Cause I'm a man" - Mai 2018


Importance et impact de la représentation des groupes minorisés dans les médias

Nous avons conscience, même si nous ne partageons rien avec eux, que des groupes minoritaires tendent à être de plus en plus présents dans les débats actuels. Cependant, la question de la représentativité réelle de ces groupes vise encore à être posée. Pourquoi est-il aujourd’hui si important de prendre en compte les divers composants humains de la société ?


Tout d’abord, la représentation des minorités dans les médias est indispensable car l’audience même de ces médias est composée de ces groupes minoritaires. Aujourd’hui, une grande partie de la population a accès aux différents médias, peu importe son milieu social. Il est donc normal, pour un média, de représenter son propre audimat, afin de lui permettre de s’identifier et de se sentir concerné, non ?! Pas si simple apparemment, car les grandes chaînes de télévision, radios, journaux... peinent encore à inviter des personnalités ou faire intervenir des chroniqueurs.ses issu.e.s de groupes minorisés. Peur d’être pointé du doigt par une élite qui s’offusque trop rapidement ou simple manque d’ouverture d’esprit au sein des rédactions ? Nous n’avons malheureusement pas la réponse.


En tout cas, les médias ont une influence dont nous n’avons presque plus conscience tellement les messages et signaux qu’ils nous transmettent sont nombreux. Ils ont pourtant un rôle essentiel dans le fonctionnement d’une société, puisque ce sont eux qui relaient les informations courantes. Ces dernières traitent souvent de sujets qui ne concernent pas ou peu les lecteurs / auditeurs. Et pourtant, ces informations sont l’essence même de la construction de la société. Je m’explique. C’est en voyant le procès d’un homme politique pour détournement de fonds que Y, étudiant, va se rendre compte que personne n’est inatteignable et que l’argent n’achète pas tout, malgré son milieu d'apprentissage ultra-sélectif régi par une culture dominante. C’est en voyant les images de la Pride en Espagne que Z, écolière birmane, assimilera les multiples possibilités qui s’offrent à elle quant à son identité sexuelle, malgré le fait que le régime de son pays ne le tolère pas.

En fait, les médias peuvent éduquer, inspirer, schématiser et offrir des milliards de possibilités d’élévation des populations.

Plus récemment, les contestations des gilets jaunes, en France, ont permises à un groupe minorisé (de par sa catégorie socio-professionnelle), de réveiller toute une population et d’amorcer une lutte qui allait bien au-delà des revendications initiales. C’est la mise en lumière, par les médias, de la genèse de l’initiative qui a enclenché la marche et qui fait que nous avons parlé des gilets jaunes tous les jours pendant plus d’un an.

Nous avons donc besoin des médias pour assimiler une culture, pour partager des opinions, pour inclure et mettre en avant la présence de chacun et son importance dans une société. Le multiculturalisme présent en France se doit d’être représenté dans nos médias car il est à l’origine de la construction identitaire de son peuple. Des questions sur les évolutions d’ordre migratoire, les questionnements liés au genre, à l’appartenance religieuse… devraient être abordées librement. Non pas en délibérant dans l’entre-soi, mais en laissant ces groupes minorisés prendre place dans les débats qu’ils suggèrent.


C’est alors qu’entrent en jeu les médias de minorités ethniques, créés et alimentés par celleux qui sont issus de ces groupes minoritaires ou encore les médias queer, dont Manifesto XXI fait partie, par exemple. Ces médias, la plupart du temps indépendants, permettent à des populations invisibilisées de se sentir représentées, légitimes et admises.


Le travail est donc de sensibiliser, dès à présent, les différentes communautés à des sujets dont elles ne se sentent pas d’emblée concernées. C’est la démocratisation de ces médias alternatifs qui incitera toujours plus d’ouverture d’esprit, de tolérance et d’acceptation et qui, par la même occasion, libérera des paroles étouffées depuis trop longtemps.

Ces groupes qui ont trop souvent été mis à l’écart, oubliés voire ignorés, (re)prennent le dessus et arrivent enfin à s’exprimer en leur nom, sans être censurés par des rédactions parfois trop autoritaires et soumises aux marronniers qui la font fonctionner. Un souffle d’espoir balaie les insécurités et autres retenues des groupes minoritaires, leur laissant à disposition divers supports où s’exprimer et partager leur culture et influences.


Découvrir

Nous avons tous besoin de continuer à nous informer et à nous éduquer sur les problématiques actuelles, liées ce mois-ci aux minorités dans les médias. Pour ce faire, on vous propose des podcasts, émissions radio/tv, articles, comptes à suivre…


Ce mois-ci, nous avons reçu Coco et Sarah de chez Manifesto XXI pour notre tout premier podcast. L’idée était avant tout de mettre en lumière un média “pas comme les autres”, naît de la volonté de Costanza de donner parole et visibilité à celleux à qui les mass media ne pense seulement quand le débat est “à la mode” : les “minorités”. Nationales, ethniques, sexuelles, linguistiques, religieuses… C’était un échange passionnant, que nous vous invitons à écouter.


D’ailleurs, n’hésitez pas à nous faire parvenir tout article, compte, personnalité qui mériterait d’être cité !


Ecouter :

Le podcast du Chapiteau, avec Manifesto XXI :



Coming out - Spotify



Pour les parisiens :

Radio FPP (en particulier l’émission “La Voix des sans-papiers”) https://www.facebook.com/lavdsp/


Lire :





Regarder :


https://www.clique.tv/ Clique TV - Mouloud Achour et son équipe


http://www.myop.fr/photographer/alain-keler Reportage photo d'Alain Keller - "Parias, les Roms en Europe. Première partie: à l'Est de l'Ouest"


Suivre :

@manifesto21 (Média d’actualité des cultures émergentes)

@gqomunion (Célébration de la scène club Sud Africaine à Paris)

@utopia56 (Association d’aide aux personnes exilées en matière de droits)

@taha.bouhafs (Journaliste)

@s_assbague (Journaliste)

@streetpress (Média d’actualité)

@ajplusfrançais (Média d’actualité)

@bondyblog (Média d’actualité des quartiers)

@frictionmagazinefr (Média d’actualité queer )

@ugurgallen (Artiste)


Crédits photo :

@odieuxboby

@emmabirsky

@charlotteabramow


Découvrir :

Certaines personnalités/chercheurs.ses qui ont étudié la représentation des minorités dans les médias

  • Marie-France Malonga

  • Jacques Guyot

  • Guy Lochard

  • Virginie Sassoon

  • Tristan Mattelart

  • Christoph Watter

  • Magali Nayrac

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