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Quand le masculin ne l'emporte plus sur les platines


Arca lors du "DJ Set Björk & Arca - Björk Digital (Mexico)" - Crédits : inconnus

En juin 2017, le DJ et co-fondateur du label Giegling, Konstantin, se prononçait auprès du magazine techno allemand Groove, sur sa vision - on vous le donne dans le mille, dégradante - des femmes qui prenaient alors le contrôle des platines :

“Les femmes DJs sont trop mises en avant, alors qu’elles sont souvent moins douées que les hommes.”

Très clairement, cette affirmation a de quoi en faire bondir plus d’un·e au plafond : elle a heureusement été formellement critiquée par de nombreux médias et personnalités des musiques électroniques. Bon, et puis il faut rappeler qu’elle est avant tout injustifiée, si on se penche davantage sur les chiffres. Selon une enquête menée par FACTS en 2020, les artistes DJs féminines ne représentent que 25% des bookings en festival en 2019, pour seulement 10% d’entre elles qui obtiennent l’immense privilège de jouer dans les clubs français les plus importants. Dès que l’on se tourne vers la production de musique, la situation est encore plus alarmante puisqu’elles ne constituent que 3% des producteur·ices... Alors, non, les femmes ne sont pas trop mises en avant et il n’y a pas de quoi se réjouir, Konstantin.


Il va même falloir te mettre à la page, Konstantin. Alors que la scène électronique était quasi exclusivement masculine dans les années 70 et 80 avec le développement des premiers synthétiseurs, les années 90 ont vu l’émergence d’artistes féminines de renom qui ont changé le paysage des musiques électroniques. Des DJs comme The Blessed Madonna, Chloe, Jennifer Cardini et Ellen Allien ont alors marqué une évolution importante pour la condition des femmes derrière les platines. La clef de leur succès : un talent indéniable et une détermination sans faille à se faire une place dans un monde principalement masculin. Vous vous rendez compte ? Leur musique était tellement bonne qu’on en a oublié que c’étaient des femmes… incroyable, n’est-ce pas ?! Pas aux yeux de Konstantin, visiblement. Et pas aux nôtres non plus ; car si force est de constater qu’aujourd’hui, la scène électronique prend des allures plus diversifiées - moins masculine, moins blanche, moins hétéronormative ou cisnormative - on est encore bien loin du compte. Penchons-nous sur la question des minorités de genre : outre quelques DJs activistes comme Sophie, Honey Dijon, Arca ou Ttristana qui ont réussi à se placer en tant qu’étendard de la cause à force de lutte acharnée, les données sur le sujet demeurent marginales, à l’image de leur présence sur la scène électronique. Ne nous voilons pas la face, si les minorités de genre sont encore si peu représentées, c’est aussi qu’une partie du milieu - hélas, souvent décisionnaire - semble encore peu encline à faire bouger les lignes.


Mais sur une note plus positive, certaines personnalités, associations, collectifs et autres structures de la sphère nocturne participent grandement à l’évolution des pratiques et des mentalités. Bien que souvent portés par les personnes concernées, c’est grâce à ces projets que subsiste la certitude que la condition des femmes et des minorités de genre dans les musiques électroniques évolue. Hauts les cœurs, l’espoir n’est pas vain !


Le collectif Zone Rouge à Nantes - Crédits : Zone Rouge - Ex Luisa

Faire bouger les lignes

Cela fait en effet plusieurs années que fleurissent diverses initiatives pour faciliter l’inclusion et la visibilisation des femmes et des minorités de genre dans les musiques électroniques. Les possibilités sont multiples : plateformes dédiées au référencement des artistes, cours de formation en non-mixité, contenus et réseaux dédiés, tremplins favorisant leur entrée sur la scène électronique ou encore projets visant à lutter contre les discriminations sexistes et transphobes dont iels sont victimes… Ce qui est certain, c’est que toutes participent à un changement progressif mais incisif qui fait déjà bouger les lignes du secteur, et ça, ça nous réchauffe le coeur ! Quelques initiatives qui ont marqué nos esprits et ravivé l’espoir...


shesaid.so


Lancé en 2014 à Londres, puis en 2017 en France, shesaid.so est un des premiers projets internationaux visant à la fois à fédérer un réseau global de femmes et de minorités de genre dans la musique, mais également à œuvrer à sa promotion et son intégration dans le milieu. L’initiative, encore inédite au moment de sa création, a sensiblement unifié les sphères minoritaires du cocon musical, favorisant de fait leur empouvoirement et centralisant les opportunités qui leur sont destinées. Un grand pas survenu avant l’ère #MeToo qui présageait déjà une évolution pour les femmes et les minorités de genre dans la musique.



Provocative Women for Music Du côté des musiques électroniques, Provocative Women for Music fait partie des initiatives phares qui soutiennent les femmes et les minorités de genre dans les métiers liés à la sphère électronique. Branche féministe du média PWFM, ce projet a pour objectif de promouvoir leurs actualités et organise des événements tremplins pour mettre en lumière les talents des artistes émergent·es comme renommé·es. En partenariat avec Clubbing TV et Ola Radio, Provocative Women for Music engage par ailleurs un important travail de visibilisation des femmes et des minorités de genre dans les médias dédiés aux musiques électroniques en favorisant leur couverture médiatique et la diffusion de leur musique dans les programmes.

Connect’her


Connect’her est une plateforme gratuite et accessible à tou·te·s qui a pour objectif de référencer les artistes féminines de la scène électronique. Créée cette année (2021) par la DJ Aʁa de Bande de Filles, elle vise à favoriser la visibilité de ces artistes et encourager les bookers et bookeuses à privilégier une programmation plus diversifiée. En plus de proposer un catalogue regroupant une centaine d’artistes et collectifs, le site offre également du contenu informatif sur d’autres projets par et pour les femmes et minorités de genre.


Move Ur Gambettes


Né du constat que la formation au DJing est moins accessible aux femmes et minorités de genre, le projet Move Ur Gambettes propose des ateliers d’initiation au mix pour les minorités dans une “atmosphère bienveillante et sans sentiment d’oppression”. Lancé par la DJ Bernadette et en partenariat avec Résonance (Grenoble) et le Cabaret Aléatoire (Marseille), Move Ur Gambettes offre notamment deux programmes d’accompagnement, respectivement Sister Act et Iels Mix, qui se déroulent sur une année et se veulent accessibles et gratuits pour tou·te·s.



Pensé à la suite du mouvement #MeToo, #MusicToo a pour objectif de mettre en lumière les agressions sexuelles et sexistes dans le milieu musical, majoritairement commises à l’encontre de femmes et minorités de genre. Le principe ? Un compte Instagram qui encourage les victimes à témoigner sur leur histoire et à ainsi dénoncer les personnalités et les structures oppressives. Le #MeToo de la musique opère à l’instar du projet d’origine un travail conséquent de libération de la parole et de responsabilisation des parties prenantes quant aux agressions sexuelles commises dans le cadre professionnel.



Table ronde "Balance ton corps" lors de la Paris Electronic Week - Crédits : Thomas Restout

Industrie musicale et feminism washing

Si ces initiatives ont déjà sensiblement fait évoluer le paysage des musiques électroniques et actuelles, encourageant l’industrie à davantage se prononcer et les minorités à prendre confiance et se lancer, nous nous devons de rappeler que l’évolution des pratiques et mentalités dépend avant tout de chacune des parties prenantes de l’écrin musical. Artistes, booker·euses, programmateur·ices, organisateur·ices, agences, festivals, clubs et salles de concert peuvent aussi fortement contribuer, à leur échelle, à lutter contre les discriminations et rendre le monde de la musique plus inclusif pour tou·te·s. Et les moyens sont nombreux : politique de tolérance zéro envers les comportements oppressifs au sein des équipes, programmation consciente et diversifiée, boycott des artistes ayant commis des agressions sexuelles, déploiement de dispositifs de réduction des risques sur les événements, mise en avant d’artistes invisibilisé·es ou moins booké·es en raison de leur genre, de leur origine éthnique, de leur orientation sexuelle ou tout autre critère discriminatoire, organisation d’événements inclusifs et respectueux de tou·te·s… Mais attention, nous vous voyons venir ! Il ne s’agit néanmoins pas de tomber dans ce que l’on appelle le feminism washing, fléau de plus en plus remarqué au sein des entreprises et organisations, qu’elles soient affiliées à l’industrie musicale ou non. Selon Léa Lejeune, journaliste qui a pour la première fois conceptualisé le terme en réadaptant la notion de greenwashing, le feminism washing désigne la manière dont une structure, souvent une entreprise à but lucratif, va arborer une image féministe et inclusive afin de faire du chiffre ou d’influencer la perception que la sphère publique porte sur elle, alors que ses valeurs internes vont à l’encontre du féminisme. C’est pas encore concret pour vous ? C’est normal, on peut se pencher sur des exemples appliqués à la musique... Dans ce ô si doux milieu, le feminism washing peut se traduire par le fait d’organiser une soirée avec une programmation 100% féminine et de communiquer en ce sens avec pour seul objectif de ramener du public, ou encore de dénoncer un artiste pour ses actes ou ses paroles sexistes puis de le booker pour une soirée peu de temps après (toute ressemblance avec une structure que vous connaissez est totalement fortuite… ou pas). Plus de femmes et de minorités de genre dans les roasters, oui ! L’arborer comme argument marketing… non. On peut aussi parler de pink washing, qui s’applique aux questions LGBTQIA+. De toutes ces soirées qui se disent être des safe space alors qu’elles ne le sont que pour les personnes qui les déterminent comme telles : les sphères dominantes qui bénéficient de tous les privilèges. C’est ce qu’explique d’ailleurs à la perfection la DJ et productrice transgenre Sprinkles dans une interview donnée à Vice :

Aujourd’hui, la notion de « safe space » est devenue mainstream parce qu’elle résonne avec les façons dont la culture dominante utilise les hétérotopies comme des outils de contrôle social et de pacification.”

Alors… des safe space, oui ! Un prétexte pour attirer plus de public et redorer son image… non.


Quand on voit que les GAFA alignent les couleurs de leurs logos sur le drapeau LGBTQIA+ alors même que les produits et services qu’elles offrent vont à l’encontre de l’inclusivité, on a aussi de quoi se poser des questions… Il ne s’agit pas de condamner toutes les pratiques qui tendent vers plus de bienveillance et de représentativité des sphères minoritaires, mais simplement de regarder d’un œil plus conscient les systèmes d’oppression qui régissent le monde… et le dancefloor !


Exemple de pink-washing de la part des GAFA - Crédits : LGL (National LGBT Rights Organization)

Ressources : une map (non-exhaustive) des collectifs féministes et inclusifs en France


Carte des collectifs féministes et inclusifs en France - Crédits : Mathieu Piscione pour Le Chapiteau - marseille

Découvrir

Ce mois-ci, nous avons rencontré Aurélie du collectif Wicked Girls qu'elle a co-fondé avec la DJ et productrice La Dame. Les projets fusent, l'ambition est immense et les notions de sororité et bienveillance sont devenus les piliers de Wicked Girls depuis plus de 10 ans ! Ateliers de mix, promotion des artistes, soutien aux minorités... Wicked Girls oeuvre pour que la scène musicale soit plus représentative de la société !


Nous vous invitons à découvrir cet échange dans le T’Chap Podcast du mois de septembre, disponible sur notre site internet ou directement sur le lien ci-dessous.



Ecouter :



Regarder :


Underplayed - Kate Simko - Un film qui dépeint le manque de présence féminine dans les musiques électroniques

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